Site de vulgarisation scientifique d'Etienne Klein
"Il me plaît de penser que la physique est une sorte d’alpinisme intellectuel consistant à grimper jusqu’à des hauteurs himalayennes où le logos est rare et la vérité mutique."
0:25 Place de la science dans notre société : texte de Nietzsche « l’avenir de la science » 5:16 La physique quantique, une révolution conceptuelle et relationnelle 8:26 Les théories de jauge : la description des interactions fondamentales comme transmission de particules, donc d’objets 9:45 Une implication : la prédiction que les objets élémentaires ont une masse nulle 12:02 L’hypothèse de Brout, Englert et Higgs : changement radical du concept de masse 15:31 Le problème du langage utilisé pour décrire la physique quantique ; l’exemple du principe d’indétermination d’Heisenberg 21:29 Comment parvenons-nous à connaître les objets ? Réfutation du scepticisme radical, et référence à la Phénoménologie de l’esprit de Hegel 27:33 Définition de la connaissance des objets 28:48 Les différents types de théorie de la connaissance : idéalisme, empirisme, constructivisme, structuralisme… Définition de la logique 41:53 La physique contient-elle des « intraduisibles absolus » ? La non-réductibilité des mathématiques aux mots, l’exemple du temps 46:05 Le manque d’impact de la vulgarisation scientifique ; une explication liée aux neurosciences
0:25 Place de la science dans notre société : texte de Nietzsche "l'avenir de la science"
L'avenir de la science
La science donne à celui qui y consacre son travail et ses recherches beaucoup de satisfaction, à celui qui en apprend les résultats, fort peu. Mais comme peu à peu toutes les vérités importantes de la science deviennent ordinaires et communes, même ce peu de satisfaction cesse d’exister : de même que nous avons depuis longtemps cessé de prendre plaisir à connaître l’admirable Deux fois deux font quatre. Or,si la science procure par elle-même toujours de moins en moins de plaisir, et en ôte toujours de plus en plus, en rendant suspects la métaphysique, la religion et l’art consolateurs : il en résulte que se tarit cette grande source du plaisir, à laquelle l’homme doit presque toute son humanité. C’est pourquoi une culture supérieure doit donner à l’homme un cerveau double, quelque chose comme deux compartiments du cerveau, pour sentir, d’un côté, la science, de l’autre, ce qui n’est pas la science : existant côte à côte, sans confusion, séparables, étanches : c’est là une condition de santé. Dans un domaine est la source de force, dans l’autre le régulateur : les illusions, les préjugés, les passions doivent servir à échauffer, l’aide de la science qui connaît doit servir à éviter les conséquences mauvaises et dangereuses d’une surexcitation. — Si l’on ne satisfait point à cette condition de la culture supérieure, on peut prédire presque avec certitude le cours ultérieur de l’évolution humaine : l’intérêt pris à la vérité cessera à mesure qu’elle garantira moins de plaisir ; l’illusion, l’erreur, la fantaisie, reconquerront pas à pas, parce qu’il s’y attache du plaisir, leur territoire auparavant occupé : la ruine des sciences, la rechute dans la barbarie est la conséquence prochaine ; de nouveau l’humanité devra recommencer à tisser sa toile, après l’avoir, comme Pénélope, détruite pendant la nuit. Mais qui nous est garant qu’elle en retrouvera toujours la force ?
Extrait de Humain, trop humain
15:31 Le problème du langage utilisé pour décrire la physique quantique ; l’exemple du principe d’indétermination d’Heisenberg
La science au défi de la langue
Je passe à un exemple plus sophistiqué, tiré de la théorie quantique. On sait qu’elle a fait couler des torrents d’encre, et suscité d’innombrables exégèses philosophiques, en particulier à propos du prétendu fameux “principe d’incertitude” de Heisenberg. Or si l’on revient au texte initial, écrit en allemand, qui est encore à l’époque de l’entre-deux-guerres la langue scientifique dominante, on constate que le terme employé par Heisenberg est Umbestimmtheit, dont la signification n’est pas du tout « incertitude », mais serait beaucoup plus proche de « indétermination », qui va de fait être utilisé dans certaines langues, par exemple en italien, où l’on dit toujours indeterminazione. Mais l’idée d’indétermination est bien différente de l’idée d’incertitude. L’incertitude, c’est que ne je ne connais pas, mais ma méconnaissance des choses ne les empêche pas d’être déterminées ! Indétermination, ou mieux, et ici je vais proposer un néologisme français, “indéterminitude”, est beaucoup plus proche du contenu effectif de la notion originelle. Une mauvaise traduction du terme en anglais, où il devient uncertainty (et revient ensuite en français de l’anglais comme “incertitude”), non seulement brouille la compréhension qu’on peut en avoir, mais donne lieu à toutes sortes d’exégèses fantasmatiques. Alors les physiciens ont beau jeu ensuite de se retourner contre leurs collègues philosophes ou sociologues en leur reprochant de commettre des abus de langage et des métaphorisations abusives dans leur recours aux termes de la physique quantique. Mais ce sont bien eux qui ont choisi des mots pour le moins douteux !
Extrait de La science au défi de la langue de Jean-Marc Lévy-Leblond
Retrouvez l'ensemble du texte dans la section intitulée : Comment écrire la science ?