Site de vulgarisation scientifique d'Etienne Klein
"Il me plaît de penser que la physique est une sorte d’alpinisme intellectuel consistant à grimper jusqu’à des hauteurs himalayennes où le logos est rare et la vérité mutique."
photo E. Klein
signature E. Klein

Questionnaire : qui êtes-vous, Etienne Klein ?

Etienne Klein

De toutes les personnes que vous avez rencontrées dans votre vie, lesquelles vous ont le plus marqué ?

Victor Weisskopf et Bernard d’Espagnat.

Pourquoi ?

Victor Weisskopf était prof au CERN, il donnait des cours aux étudiants qui venaient l’été. C’était un personnage ! Il avait été le thésard de Pauli, il avait collaboré avec Einstein, il parlait sept langues… il avait un charisme extraordinaire et une façon de faire cours très différente des façons de faire cours en France. C’était à la fois un humaniste et un grand physicien, un profil qu’on ne fabrique plus vraiment aujourd’hui. Il m’a vraiment scotché ce gars-là !
Et d’Espagnat, parce qu’on m’a offert son livre quand j’étais à Centrale, celui qui s’intitule A la recherche du réel, où il parlait des problèmes d’interprétation de la mécanique quantique et laissait entendre que la physique quantique pouvait avoir un impact sur la façon de penser le réel philosophiquement. Ensuite on s’est rencontrés et on a écrit un bouquin ensemble… il a été une sorte de figure tutélaire.

Quel(s) événement(s) vous a/ont conduit vers la physique et vers la vulgarisation scientifique ?

L’événement vers la physique, c’est un stage au CERN quand j’étais à Centrale en deuxième année. Vers la vulgarisation : c’est lorsque j’ai écrit mon premier livre, quand j’avais 32 ans. Quand j’ai écrit ce livre, je me disais que les paradoxes étaient un bon moyen pédagogique pour apprendre la physique contemporaine.

Quelles sont les personnalités scientifiques du passé que vous admirez le plus ?

Je dirais Galilée, Boltzmann, Riemann, Einstein évidemment, et Majorana d’un certaine façon. Quand on voit ce qu’a fait Riemann en maths, mort à 39 ans, on ne comprend pas très bien comment au milieu du XIXe siècle il a pu produire autant. Ce sont des figures classiques, mais elles ne le sont pas par hasard !

Quels sont les livres de science qui vous ont le plus marqué ?

A la recherche du réel de d’Espagnat bien sûr, mais avant il y avait eu Patience dans l’azur d’Hubert Reeves. C’est quand même extraordinaire : ce livre a été refusé par 30 éditeurs ! Il a été accepté par le Seuil, et ça a été un best-seller absolu. Il a démontré qu’on pouvait vendre des livres sur la science. C’est là que j’ai appris que les atomes n’ont pas toujours été là, qu’il y a eu une nucléosynthèse… Quand j’ai lu ce livre j’ai découvert – pour le coup – un univers.

Votre citation préférée sur le thème du temps ?

C’est peut-être celle de Giono : « Le temps, c’est ce qui passe quand rien ne se passe ».

Quel est votre mythe préféré sur l’origine de l’univers ?

Le mythe de Kronos, Gaïa et Ouranos, avec l’idée que le temps physique est né d’une émancipation d’un titan par rapport à son père : quand Kronos engendre Chronos. J’y ai consacré un chapitre dans Les tactiques de Chronos.

Sur la photo du Congrès Solvay de 1927, quel physicien (ou physicienne !) vous fascine le plus ?

Je pense que c’est Dirac. Il est fascinant dans le sens où il est insondable. Il a écrit un livre en 1928 qui s’appelle Principles of quantum mechanics qui est le premier vrai livre de physique quantique, absolument incroyable, où on trouve l’équation de Dirac à la fin. Il avait 25 ans ! On se fait une image de lui par toute la légende qui l’entoure, qui est en fait contredite par une conférence qu’il a donné en 64, avec une parole très fluide et beaucoup d’aisance. C’est un personnage très complexe.

[conférence de Paul Dirac de 1975 disponible ici.]

De toute façon, j’ai une admiration pour les physiciens qui ont prédit l’existence d’objets qui existent. Et la prédiction de l’antimatière, c’est quand même quelque chose d’absolument incroyable [prédiction issue de l’interprétation de l’équation de Dirac].

Ce que vous aimez chez les gens ?

Je dirais que c’est la capacité à être parfois dans l’humour. Pas tout le temps, mais parfois.

Ce que vous n’aimez pas chez les gens ?

Je sais pas, j’aime bien les gens… Je dirais l’arrogance.

Le principal trait de votre caractère ?

A votre avis ?

Votre principale qualité ?

Les gens disent que je suis un bon père. Pour le reste…

Formulé autrement : si vous deviez renaître, quelle qualité garderiez-vous ?

Si je devais renaître, je pense que je travaillerais plus l’introspection, que j’ai un peu délaissée car, la physique, ça écarte un peu de soi-même. Disons qu’il y a beaucoup de gens qui vivent comme si l’univers n’existait pas, ils oublient qu’il y a un ciel, des étoiles… Chez les physiciens il y a parfois l’excès inverse, comme si l’humanité n’était rien.

Votre principal défaut ?

C’est peut-être l’incapacité à me poser vraiment, pour écouter. C’est le fait de ne pas être assez disponible, de ne pas accepter de poser les valises pour un bon moment.

Votre occupation préférée ?

J’aime bien travailler – dans le calme. J’aime bien faire du sport. Je n’aime pas être en salle à pédaler sur des trucs, je préfère les sports je dirais… d’agonie. C’est même pas des sports : c’est sans arbitre, sans terrain, sans règle, des sports où si on veut on peut terminer à bout de force.

Ultra-trail du Mont-Blanc ou diagonale des fous ?

Je ne connais que l’Ultra-trail du Mont-Blanc, je n’ai jamais fait la diagonale des fous. Il paraît que c’est à peu près pareil sauf que les températures sont différentes. Le terrain est différent mais le dénivelé est à peu près le même. La diagonale des fous, je la ferai peut-être un jour. Mais j’ai un tel attachement à Chamonix et au Mont-Blanc que si je devais faire un trail ailleurs que là, j’aurais l’impression d’être dans l’adultère.

Vos auteurs favoris en prose ?

Là, pour le coup, il y en a vraiment beaucoup…

Ah, il faut choisir.

Deux qui me viennent comme ça : Paul Valéry (en prose) et Bachelard.

Vos poètes préférés ?

Ce n’est pas Valéry, justement. Il y a évidemment Rimbaud, et… et William Blake. C’est en lisant Bachelard que j’ai découvert Blake : Bachelard parle d’un poète absolu qui arrive a nouer les mots de telle façon que ça fait naître de nouvelles images. Les mots créent une sorte de monde parallèle qui fait sens.

Vos compositeurs préférés ?

Bah les Rolling Stones.

Cela vient après…

Alors euh… Comme Einstein, Mozart et Bach.

Alors, Beatles ou Rolling Stones ?

Bah non mais… Les Beatles ça n’existe pas. Il y a une chanson des Stones qui s’appelle We love you dans laquelle ils ont singé les Beatles. Ils ont fait une musique un peu comme les Beatles, mais c’est bien meilleur que les Beatles. Je peux vous la faire écouter…

Votre chanson préférée des Rolling Stones ?

(Long soupir…) Ca dépend du contexte. Pendant l’Ultra-trail, la nuit, quand il faut se taper 2000m de dénivelé etc, je mets des chansons qui boostent sans être agressives, comme Too Tough. Sinon, intrinsèquement, une chanson des Stones qui est assez remarquable c’est Gimme Shelter, à la fois la musique et la composition, mais aussi les paroles et le contexte. Je pense que c’est une chanson qui a fait comprendre à beaucoup de gens, notamment aux Américains, ce que ça veut dire : être sous un bombardement.

Vos peintres préférés ?

Hmm… Je ne sais pas répondre. En fait je n’ai pas des peintres préférés, mais des tableaux préférés. Mais celui qui est le plus riche et même supérieur à Picasso dans la variété c’est Georges Braque. Il a été productif à tous les âges de sa vie, il a inventé des styles et il a été précurseur tout au long de sa vie y compris en étant rupture avec lui-même. C’est assez fascinant.

Votre devise ?

On a le droit à combien de devises ?

Une.

Tout finira par s’arranger, même mal.

Votre rêve ?

Mon rêve ? C’est un rêve impossible, mais j’aimerais bien faire le Tour de France. Si on me disait : tu as le droit pendant un mois de devenir quelqu’un d’autre et de faire autre chose, j’aimerais avoir 28 ans et faire le Tour de France, peu importe la place. Enfin évidemment, sans être largué, sinon c’est l’enfer. Gagner une étape, ce serait ajouter un rêve au rêve !

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