L’origine de l’univers est-elle pensable ?
0:32 Deux problèmes fondamentaux pour les physiciens
5:39 Notions de relativité générale (publiée par Einstein en 1915)
7:15 Le statut de l’univers au XXe siècle et la naissance de la cosmologie
9:48 L’observation par Hubble du déplacement des galaxies et l’expansion de l’univers
13:01 L’extrapolation jusqu’à la singularité initiale ; l’origine de l’expression « Big bang »
16:10 L’origine de l’univers et la religion : anecdote avec Jean-Paul II et Stephen Hawking
18:06 Le big bang correspond-il vraiment à la création de l’univers ?
19:49 Limitations de la relativité générale à décrire l’origine de l’univers
21:40 Le mur de Planck
24:03 La Théorie du Tout ; la théorie des supercordes
26:55 La prédiction de la gravitation à partir des principes de la théorie des cordes
28:34 Impuissance de la théorie des cordes à décrire l’univers primordial
29:45 Prédiction de la théorie des cordes : la température dans l’univers n’est jamais infinie ; conséquence sur la singularité initiale
30:55 Par quoi est remplacé l’instant 0 ?
32:52 Théorie de la gravité quantique à boucles (Ashtekar, Rovelli) et ses prédictions sur l’origine de l’univers
35:51 Ce que l’on peut dire sur l’origine de l’univers
40:41 Peut-on penser la transition entre le néant et l’être ?
44:22 L’origine est un achèvement !
46:36 L’aporie sur l’origine de l’univers
48:15 Les mauvais discours sur la question de l’origine
13:01 L’extrapolation jusqu’à la singularité initiale ; l’origine de l’expression « Big bang »
Le 29 mars 1949, dans une émission de radio de la BBC intitulée The Nature of things, l'astronome britannique Fred Hoyle s'attaquait aux théories sur l'origine de l'univers faisant l'hypothèse d'une singularité initiale : c'est à l'occasion de cette critique qu'il prononça pour la première fois le terme de "Big Bang", resté depuis célèbre.
Ci-dessous, vous trouverez un extrait de cette émission ; "Big bang" apparaît à la 4e ligne du second paragraphe.
16:10 L’origine de l’univers et la religion : anecdote avec Jean-Paul II et Stephen Hawking
24:03 La Théorie du Tout ; la théorie des supercordes
Le Monde selon Etienne Klein
Les mirages du point final
32:52 Théorie de la gravité quantique à boucles (Ashtekar, Rovelli) et ses prédictions sur l’origine de l’univers
Pour en savoir plus, voir ci-dessous "La théorie de la gravitation quantique à boucles"
40:41 Peut-on penser la transition entre le néant et l’être ?
Tous les discours, qu'ils soient scientifiques, religieux ou philosophiques, ne parviennent pas à donner une explication complète et cohérente sur l'origine de l'univers, et plus particulièrement sur le passage du néant au quelque chose. La physique nous permettra-t-elle un jour de saisir l'origine de l'univers ? Etienne Klein vous explique tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l'origine sans jamais oser le demander, dans ce texte intitulé :
Et pour compléter, une chronique du Monde selon Etienne Klein...
Le Monde selon Etienne Klein
Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?
46:36 L’aporie sur l’origine de l’univers
ANTINOMIES DE LA RAISON PURE
Première opposition des idées transcendentales
Le monde a un commencement dans le temps, il est limité dans l’espace.
Car si l’on suppose, quant au temps, que le monde n’a pas de commencement, une éternité est donc écoulée à tout moment donné ; et par conséquent une série infinie d’états successifs des choses dans le monde, est aussi écoulée. Or, l’infinité d’une série consiste précisément en ce qu’elle ne peut jamais être accomplie par une synthèse successive. Par conséquent, une série cosmique passé ne peut être infinie ; donc un commencement du monde est une condition nécessaire de son existence ; ce qu’il fallait d’abord démontrer. […]
Le monde n’a ni commencement ni limite ; il est au contraire infini quant au temps et à l’espace.
Car, supposez que le monde ait un commencement : puisque le commencement est une existence précédée d'un temps dans lequel la chose n'est pas, un temps doit donc avoir précédé, dans lequel le monde n’était pas, c’est-à-dire un temps vide. Or rien ne peut commencer d’être dans un temps vide, parce qu’aucune partie d’un pareil temps ne renferme en soi, plutôt qu’une autre quelconque, une condition distinctive de l’existence, de préférence à la condition de la non-existence (tout en supposant du reste que cette condition existe par elle-même ou par une autre cause). Plusieurs séries de choses peuvent donc bien commencer dans le monde mais le monde lui-même ne peut avoir aucun commencement ; il est donc infini par rapport au temps passé. […]
Plus loin dans le texte, Kant explique comment il résout l’antinomie qui concerne la finitude (ou non) du monde dans l’espace, et indique que son raisonnement est le même quand il s’agit de la finitude (ou non) du monde dans le temps.
Je suis très satisfait de la dernière partie de cette opinion des philosophes de l’école de Leibniz. L’espace est simplement la forme de l’intuition extérieure, mais pas un objet qui puisse être perçu extérieurement, ni rien de corrélatif aux phénomènes, mais la forme même des phénomènes. L’espace ne peut donc absolument (par lui seul) précéder comme quelque chose de déterminant dans l’existence des choses, parce qu’il n’est pas un objet, mais seulement la forme des objets possibles. Par conséquent les choses, comme phénomènes, déterminent bien l’espace ; c’est à dire que de tous ses prédicats possibles (grandeur et rapports), elles font que ceux-ci ou ceux-là appartiennent à la réalité. Mais l’espace ne peut pas réciproquement, comme quelque chose qui existe par soi, déterminer la réalité des objets par rapport à la grandeur ou à la figure, puisqu’en soit il n’est rien de réel. C’est pourquoi un espace, qu’il soit plein ou vide, peut bien être borné par des phénomènes, mais des phénomènes ne peuvent pas être bornés par un espace vide en dehors d’eux. Il en est de même du temps.
Extraits de la Critique de la Raison pure (1781), Logique transcendantale, Première antinomie
Eléments d’explication
A propos de la thèse
Le paragraphe cité est destiné à montrer qu’il y a nécessairement eu un instant 0 (réfutation de l’antithèse). L’argument est le suivant : si l’univers n’a pas eu de commencement dans le temps, cela signifie que, dans le passé, une infinité d’instants (d’états) se sont succédés (imaginez une demi-droite infinie d’un côté et dont le bout fermé correspond à l’instant présent). Ce qui vient d’être dit est précisément impossible : en effet, la succession des instants ne permet pas de restituer une infinité d’instants. Ajoutez un grain de sable à un autre grain de sable, puis à un autre, etc. : vous ne parviendrez ainsi jamais de façon successive à obtenir une infinité de grains de sable…
A propos de l’antithèse
Le paragraphe cité est destiné à montrer qu’il n’y a nécessairement pas eu d’instant 0 (réfutation de la thèse). Supposons qu’il y a eu un instant 0 : il faut dès lors admettre que le temps a émergé d’un hors-temps. Mais rien dans ce hors-temps ne conditionne l’apparition du temps : autrement dit, puisque rien n’existe hors du temps, il ne peut en particulier pas y avoir dans ce hors-temps de cause à l’apparition du temps.
A propos de la réponse de Kant
Comment Kant résout-il le paradoxe ? En montrant que l’antinomie naît d’une confusion primordiale entre les phénomènes et les choses en soi.
Pour le comprendre, il convient de rappeler que, dans la philosophie kantienne, le temps est un mode de représentation du monde, une condition a priori de toute expérience sensible. Autrement dit, le temps est un cadre propre à notre conscience à travers lequel nous percevons la réalité : il n’est donc pas une propriété intrinsèque des objets qui constituent le monde que nous appréhendons. Il en est de même pour l’espace, qui comme le temps est une propriété que notre conscience projette sur les objets ; de ce point de vue Kant se rapproche de Leibniz (qu’il cite dans le texte ci-dessus). Voir à ce propos le débat Leibniz-Clarke, dans les approfondissements de la conférence sur la page consacrée aux voyages dans le temps.
Dès lors, on peut distinguer les choses en soi, c’est-à-dire le monde tel qu’il est hors de notre conscience (auquel nous n’avons donc pas accès) et les phénomènes, qui sont les objets tels qu’ils sont perçus par notre conscience à travers le prisme du temps.
Venons-en à la solution au paradoxe proposée par Kant : l’idée est de dire que du point de vue des phénomènes, notre perception des objets est conditionnée par le temps, donc nous sommes capables de définir la notion de limite temporelle, et donc de penser l’instant 0. Mais dès lors qu’on essaie de considérer le monde en soi (les choses en soi), en dehors de l’espace et du temps, on n’est plus en mesure de définir une quelconque notion de limite ni spatiale ni temporelle, puisque justement ce qui est en soi n’est pas intrinsèquement soumis au temps et à l’espace ! Dans ce cas, on ne peut donc plus parler d’instant 0.
Ainsi, pour Kant, les deux assertions (thèse et antithèse) sont vraies, selon qu’on considère les phénomènes ou le monde en soi.
Remarques
Kant et l’Univers-bloc
Il est intéressant de remarquer que la conception kantienne du temps se rapproche de la théorie de l’Univers-bloc.
Qu’est-ce que l’Univers-bloc ?
La théorie de l’Univers-bloc stipule que tous les événements passés, présents et futurs existent de toute éternité - ou plus exactement sans idée de passage dans le temps - et que c’est notre conscience qui les fait se succéder. Par analogie, le paysage qu’on observe depuis un train existe dans sa totalité indépendamment du train, mais c’est bien le mouvement du train qui nous donne l’impression que le paysage défile sous nos yeux.
C’est la théorie concurrente du présentisme, qui affirme au contraire que le cours du temps ne dépend pas de notre conscience (il a une réalité objective), que l’instant présent se renouvelle continuellement, et que le futur n’est pas pré-établi.
Pour en savoir plus et connaître en particulier les problèmes soulevés par une telle conception du temps, voir « 26:52 D’où vient que le temps passe ? Sommes-nous le moteur du temps ? La thèse de l’univers bloc » dans la vidéo de la page consacrée au temps vécu, ou voir vidéo « Univers-bloc et présentisme » dans la section vidéos courtes de réflexion sur la physique.
Quel lien entre Kant et l’Univers-bloc ?
Dans les deux cas, on retrouve l’idée que le temps est non pas une propriété des objets, mais un mode de perception des objets, une médiation entre eux et la conscience. En conséquence, un autre point commun est que le monde kantien comme l’Univers bloc ne sont pas dans le temps et dans l’espace, ils existent en soi : c’est la conscience qui dans les deux cas projette le temps et l’espace sur les choses pour les rendre spatiales et temporelles.
Aristote et la notion d’infini
Les arguments exposés dans la thèse ci-dessus ne sont pas sans rappeler Aristote qui distinguait l’infini actuel de l’infini potentiel. Ce qu’Aristote appelle l’infini actuel, c’est l’infini en soi, dans sa « totalité », et que notre esprit limité ne peut pas appréhender. Aristote refusant philosophiquement cet infini, il l’a distingué de l’infini potentiel, pensé suivant une sorte de principe de récurrence : après 1, il y a 2, après 2, il y a 3 etc, et l’infini n’est alors rien d’autre que le renouvellement d’un nombre par le suivant (ce sur quoi repose par ailleurs le calcul infinitésimal, qui consiste à penser - par exemple dans le cas d’une limite - une succession de quantités qui s’approchent globalement et indéfiniment d’une autre quantité).
Ainsi, le paragraphe de la thèse semble se faire l’écho d’Aristote en soulignant les limites de l’infini potentiel, qui par la seule succession ne parvient pas à s’identifier à l’infini actuel, à l’illimité.
Rappelons qu’en mathématiques il faudra attendre Georg Cantor (XIXe siècle, donc bien après Kant) et sa Théorie des ensembles pour pouvoir appréhender l’infini actuel à travers sa définition ensembliste (dans le jargon, un ensemble est dit infini s’il peut être mis en bijection avec l’une de ses parties).